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De l’intégrisme technologique: l’analyse du psychologue

Ces derniers jours, certains commentaires ont été très vifs dans cette colonne. Parfois même censurés. Et la mauvaise foi de certains participants a dépassé les limites. L’un d’eux nous a ainsi appris que les tuners FM ne servaient à rien et qu’il était inutile de pouvoir rajouter de la mémoire aux appareils. En gros, jetez votre auto-radio et votre allume-cigare… Voici donc ci-dessous une petite élévation psychologique demandée à AcideBase, psychologue de métier. Merci!

Tenants et aboutissements du fanboyisme

Au mois de mai de cette année, la BBC affirmait, scans de cerveaux en main, que le fait de montrer des images en lien avec Apple provoquait chez les fans de la Pomme l’activation des mêmes zones cérébrales que les images religieuses chez des croyants. Apple n’est certes pas une religion, mais il est évident que l’attachement à une marque peut aller au-delà de ce qui est rationnel ou raisonnable. Et les fans d’Apple ne sont sûrement pas les seuls.

Des mécanismes d’identification
Derrière un attachement fort à une marque, il y a des mécanismes d’identification à celle-ci qui sont le fait non seulement de la qualité des produits, mais aussi d’autres leviers actionnés à notre insu. Exemple: l’appel à notre “grégarité” – notre besoin d’appartenir à la masse ou à une communauté. Du côté d’Apple, on comptera beaucoup sur l’effet de mode massif des iDevices: les médias complices – qu’ils le veuillent ou non – montrent des foules entières devant les Apple Store. Du côté d’Android, c’est l’aspect communautaire, directement inspiré du Logiciel Libre, qui soude les fans autour du Robot Vert.

Autre mécanisme: l’identification à un modèle, humain et charismatique. Apple en est l’archétype même via le défunt Steve Jobs: si on n’achète pas nécessairement des produits Apple pour Steve Jobs, on s’y attache et s’identifie par Steve Jobs. Reste à voir si Tim Cook aura le même talent pour “créer” du fanboyisme… Du côté d’Android, nulle figure particulièrement charismatique. Par contre, des slogans: ouverture, liberté, souplesse. Autant de mots qui n’ont aucune utilité pour le commun des mortels si ce n’est le technophile, mais des concepts qui plaisent, flattent, que l’on adopte et auxquels on s’identifie.

Dans tous les cas, on fera tout pour que le Moi annexe la marque voire le produit. Rappelez-vous: “Je suis un Mac”; “Je suis un IBM”, “Je suis PC et Windows 7 est mon idée”. Le terme iPhone commence par la lettre “I” qui veut aussi dire “Je” en anglais. Quant à la signification du mot “Android” (androïde en bon français): qui ressemble à… l’homme!

Le fanboyisme en action
Dans un tel contexte où notre Self est accaparé par les marques et où notre attachement à leurs produits devient irrationnel, émotionnel, et lié à notre identité, il devient aisé de nous faire réagir de manière parfois un peu… bizarre.

Par exemple, ce que l’on appelle de la mauvaise foi lors d’une discussion sur un produit technologique est bien souvent l’expression d’une résolution de ce que les psychologues appellent la dissonance cognitive. Celle-ci  peut apparaître lorsque notre attachement est mis en danger par des éléments entrant en contradiction avec certaines croyances qui l’étayent. Pour faire face à l’inconfort de la dissonance, au lieu de la “rationaliser”, nous avons tendance à refuser certaines évidences ou nous rabattre sur d’autres. Par exemple, un fan  d’Android pourrait écarter les critiques sur le manque de fluidité en ne se basant que sur des évidences qui démontrent le contraire.

L’Antennagate de l’année passée en était aussi une belle démonstration: alors que ce problème, bien que mineur, ait été démontré tant par des vidéos que par des tests en labo, de nombreuses personnes affirmaient que l’accusation était infondée car elles ne l’avaient remarquée lors de l’utilisation du téléphone. En ne sélectionnant inconsciemment que les informations qui nous arrangent pour régler la “démangeaison”, nous laissons libre cours à ce que les cognitivistes appellent le biais de confirmation d’hypothèses.

Autre effet souvent rencontré dans les discussions de forums ou blogs: l’effet de halo. On peut considérer qu’un smartphone est “le meilleur” simplement parce qu’il produit du plaisir lors de son utilisation, alors qu’il peut lui manquer des fonctionnalités relativement importantes. A l’inverse, on peut considérer que l’extrême modularité d’un smartphone le place au-dessus de la masse, malgré ses… bugs. L’effet de halo empêche l’esprit critique à partir de “l’éblouissement” d’une qualité d’un appareil auquel on est attaché.

Prendre du recul
Nous pourrions nommer de nombreux autres effets de nos excès d’admiration. Nous les connaissons bien: ils sont parmi nous, avec des conséquences diverses. Cependant, comme le chante un groupe peu célèbre que j’apprécie, là où il y a de la passion, il n’y a pas d’empathie. Les discussions “passionnées” ne peuvent que dégénérer. Le tout est donc d’être conscient de son propre fanboyisme, l’accepter, et accepter que l’on est les victimes plus ou moins consentantes d’un bon marketing. Les premiers (et seuls?) gagnants du fanboyisme ne sont que les constructeurs.

Quant à l’effet des “débats”, ils cristallisent davantage les positions qu’ils ne les fléchissent. La prise de recul est donc salutaire. Cela ne signifie pas nécessairement renoncer à sa passion, mais seulement y injecter de l’ouverture d’esprit.

AcideBase
Psychologue, technophile et auteur du blog http://acidebase.kegtux.org


Pour aller plus loin, les développements d’AcideBase

Du fanatisme technologique (partie 1) : les biais

Du fanatisme technologique (partie 2) : marketing et identification


Le “fanboyisme” en chiffres

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