
On va commencer la rédaction de cette note dans un état d’esprit quelque peu candide pour laisser parler notre émerveillement. On trouve sur internet depuis des mois (voire des années) des éditoriaux, articles rédactionnels et autres contenus rédigés en partie par des algorithmes, pompeusement appelés «intelligence artificielle»… La fin de la rédaction humaine?
«L’écriture par l’intelligence artificielle est une solution de Natural Language Generation (NLG) qui transforme automatiquement vos données structurées en textes. Vos données permettent de générer un grand nombre de textes, en plusieurs langues et à des formats variables, adaptés à vos diffusions: CRM, CMS, ERP, emails, réseaux sociaux ou web», écrit ainsi le site internet demain.ai, qui commercialise déjà des solutions sur internet. Mais de quoi parle-t-on?
Articles de presse, SEO, reportings
«Le service DataEcriture travaille au service de la presse en produisant des articles d’information sur un grand nombre de thématiques parmi lesquelles: le sport, les loisirs, la culture, l’immobilier. Il accélère l’essor du commerce en ligne en automatisant la rédaction des descriptifs produits tout en travaillant le SEO des landing pages. Il automatise la rédaction des reportings dans le domaine des ventes, du marketing digital, des opérations industrielles ou de la finance», selon demain.ai.
Du côté de Syllabs, qui compte notamment l’Agence France-Presse (AFP), Le Monde et Radio France parmi ses clients, on se veut pragmatique. «La génération automatisée de Syllabs est unique en son genre: elle associe des algorithmes sophistiqués et l’expertise humaine de linguistes, journalistes, dataïstes et informaticiens. Nos convictions vont aussi dans le sens d’une collaboration raisonnée entre l’homme et la machine: l’intelligence artificielle doit être utilisée pour compléter le travail humain, le faciliter et l’augmenter. Elle se met au service de la créativité humaine», selon cette page internet. Intéressant.
Jusqu’à l’absurde?
J’aime aussi beaucoup ce site internet. «L’écriture, ce n’est pas pour vous? Vous ne trouvez tout pas le temps d’écrire? Laissez le rédacteur IA générer du texte pour votre site web pendant que vous le construisez — c’est rapide et facile avec Zyro. Veuillez noter que nos générateurs sont en cours de développement. Nous vous recommandons de les utiliser dans leur version anglaise pour le meilleur résultat possible», selon Zyro.
Il suffit ensuite de choisir quelques mots clefs pour générer automatiquement du «bla-bla numérique». L’exemple avec «Sustainability» et «Sunstainable Energy Fund» est particulièrement savoureux. Je vous laisse vous amuser avec ce générateur de texte gratuit pour vous faire une idée en comparant les différents textes proposés à choix!
Jusqu’à des articles d’analyse…
Ces exemples laissent songeur. Dans une des citations ci-dessus, il est question de données structurées. En effet, avec un minimum de logique et des algorithmes rudimentaires, il est possible sans trop d’efforts de générer des textes simples et descriptifs pour verbaliser des résultats économiques ou des séries de chiffres. Sans plus.
Evidemment, d’aucuns ont voulu dépasser ce stade en se basant notamment sur le projet GPT-3, de l’entreprise Open AI d’Elon Musk. A fin mars, plus de 300 projets utilisaient déjà l’application de développement du milliardaire américain, selon cette note de blog publiée par l’entreprise. La rédaction du Guardian a publié cet article partiellement rédigé avec les algorithmes de la même entreprise.
Il faudra compter avec l’AI…
Fondamentalement, ces exemples interpellent, même s’ils ne sont pas si extraordinaires que cela, si l’on songe aux résultats parfois pas si mauvais du site de traduction en ligne DeepL. Mais attention, dans le cas de ce traducteur automatique, il existe un modèle dans une langue, qui est singé dans une autre par de multiples algorithmes.
Quoi qu’il en soit, à l’avenir, il faudra compter encore davantage avec de tels robots pour la mise en forme de certains rapports reposant sur des données plus ou moins structurées. Certaines rédactions le font déjà d’ailleurs pour délivrer très rapidement les résultats de suffrages populaires. N’en demeure pas moins une question fondamentale…
Une certaine banalisation de l’intelligence?
Dans quelle mesure ces tentatives ne sont pas le signe d’un renoncement à l’entendement. Le propre de l’être humain est de penser. «Je pense, donc, je suis», écrivait Descartes. En laissant des algorithmes, aussi performants soient-ils, prendre la main sur le langage, les concepteurs de ces systèmes insultent peut-être ce qui fait le propre de l’homme, même si l’on ne peut pas s’opposer au progrès…
En banalisant le discours, qui est le fondement de l’action, il est probable que notre société fasse preuve d’un terrible acte de renoncement. Une dérive philosophiquement très discutable qui a déjà été redoutablement mise en image par Stanley Kubrick dans 2001, l’Odyssée de l’espace. En tentant progressivement de renoncer à la maîtrise de son discours, il se pourrait que l’être humain renonce à sa raison d’être.
Xavier Studer
PS
Lorsqu’on songe à l’histoire de l’informatique et de son incessante alignée de bugs…