
L’intelligence artificielle (IA) révolutionne notre accès au savoir et à la connaissance, particulièrement notre manière d’apprendre. Rencontre avec Sarah Chardonnens qui vient de publier «The Learning Revolution, AI’s Influence on Intelligence and Education», dont une version en français est désormais disponible. Elle met en lumière les enjeux, les risques et surtout les nouvelles opportunités de l’IA, dont nous pouvons tous bénéficier!
Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre sur l’intelligence artificielle et l’apprentissage?
Je dirais que c’est d’abord un livre sur l’apprentissage, puis sur l’intelligence artificielle. Comme pédagogue, il me semblait plus judicieux de mettre l’apprentissage au centre. En fait, j’ai écrit ce livre parce que j’ai vécu un choc quand ChatGPT est sorti, juste après ma thèse. C’était en parfaite corrélation avec mes recherches, et cela bouleversait la vision de l’apprentissage, de l’autorégulation, de l’autonomie des apprenants.
À qui s’adresse principalement ce livre? Aux enseignants, aux apprenants, aux institutions, aux particuliers?
C’est une question que je me suis aussi posée. En réalité, ce livre s’adresse à toutes les personnes qui apprennent — et nous apprenons tous. Mon objectif était de vulgariser les mécanismes de l’apprentissage, expliquer comment fonctionne le cerveau d’un point de vue cognitif, ce qu’il se passe quand nous apprenons, et mettre en perspective les apports et les risques de l’IA.
Ce n’est pas seulement négatif: certains outils d’IA apportent une vraie plus-value. Donc, je dirais que ce livre est pour tout le monde: enseignants, apprenants, parents. L’éducation ne se limite pas à l’école, elle se fait aussi à la maison. Il faut apprendre à penser par soi-même, à développer l’esprit critique, et à ne pas tout croire.
Quel conseil donneriez-vous aux personnes qui vont utiliser l’intelligence artificielle, puisqu’elle est aujourd’hui partout?
D’abord, adopter un esprit critique. L’important est de questionner les résultats, de comparer, de ne pas tout prendre pour acquis. L’IA doit être utilisée comme un outil créatif, pas comme une béquille qui remplace notre réflexion. On devrait l’utiliser pour enrichir un brainstorming personnel, par exemple, et non pour s’en remettre totalement à elle.
Ensuite, il faut être conscient que l’IA façonne la société: il y a des enjeux éthiques et de protection des données. Donc, mes trois mots-clés seraient: critique, créativité, éthique.
Vous avez développé le modèle Synapse. Qu’est-ce que c’est? Pourquoi?
Le modèle Synapse est issu de plusieurs recherches que j’ai analysées et codées pour représenter l’apprentissage. J’ai identifié quatre grandes phases interactives:
- Sensory input: l’activation, la perception;
- Network adaptation: l’adaptation à ce que l’on apprend;
- Participation: donc la métacognition, c’est-à-dire la réflexion sur ce que l’on fait;
- Storage & Embodiment: soit la mémorisation et la stabilisation des acquis.
Au centre de ce modèle se situe la dynamique motivationnelle. J’ai développé ce modèle sur la base de mes recherches, et un article scientifique est en cours de publication.
Synapse est l’acronyme de Sensory input — Network adaptation — Participation — Storage & Embodiment.
Pour vous, la motivation est très importante. Comment motiver des adolescents, par exemple?
Je parlerais plutôt de dynamique motivationnelle, car il y a de nombreux facteurs. La motivation repose sur trois éléments: je peux le faire, je me sens capable de le faire, et je veux le faire. Si un de ces trois facteurs manque, la motivation s’effondre.
Ce que j’ai pu démontrer dans ma thèse, c’est qu’il faut aborder l’adolescent avec empathie: comprendre comment il réfléchit, ce qui lui donne envie, ce dont il a besoin, et aussi lui expliquer clairement ce qu’il doit apprendre, car certaines choses sont obligatoires.
L’adolescence est cette zone compliquée entre enfance et âge adulte, où il faut accepter davantage de responsabilités. Si l’élève perçoit le sens de l’apprentissage et en voit les fruits, cela fonctionne. La gamification marche bien, car elle apporte une récompense immédiate. Mais le problème actuel est l’habitude des récompenses rapides. Or, parfois, il faut du temps et de la discipline pour obtenir un vrai résultat. J’ai appris cela grâce à la musique ou aux arts martiaux: travailler longuement pour une progression durable.

Quels sont, selon vous, les plus grands bouleversements de l’IA dans l’apprentissage aujourd’hui?
Par exemple, sur Moodle — une plateforme universitaire d’apprentissage — il existe déjà des plugins qui posent des questions et donnent du feedback à l’apprenant. L’IA peut aider à encourager l’autorégulation en stimulant la réflexion par des questions pertinentes. Mais il faut d’abord bien définir les objectifs pédagogiques et choisir quels outils utiliser selon chaque phase du modèle Synapse.
Qu’est-ce que vous pensez du lancement de GPT-5, qui a fait couler beaucoup d’encre?
Je ne suis pas spécialiste en IA. Mais je trouve l’outil impressionnant et puissant, tout en appelant à la prudence. C’est une transformation majeure, et il faut apprendre à dialoguer avec discernement. Je crois que ce n’est pas la puissance de l’outil qui fera la différence, mais la maturité de la personne qui l’utilise. Comme pour toute invention — l’imprimerie, par exemple — tout dépend de ce qu’on en fait.
Vous avez étudié en profondeur le fonctionnement de ces modèles probabilistes. Selon vous, l’intelligence artificielle générale existera-t-elle un jour?
J’espère sincèrement que non. Je suis profondément humaniste et j’ai confiance en l’être humain. L’IA reste un outil mathématique fondé sur des probabilités. Elle peut aller loin, mais il lui manque l’émotionnel.
La communication humaine est extrêmement riche: gestes, intonations, regards, vécu personnel… Chaque interaction est unique. Je n’arrive pas à imaginer qu’un algorithme puisse reproduire cela fidèlement. Et en plus, cela ne serait probablement ni écologique ni économique.
Allez-vous traduire votre livre en français?
Il est déjà traduit en français sur mon ordinateur, mais ne souhaite pas le publier en format papier. Il est disponible en version E-book uniquement. Je suis sous contrat avec un éditeur pour un nouveau manuscrit d’ici novembre.
Mon premier livre, en anglais, était une vulgarisation, une manière de «prendre la température». Le prochain, en français, ira plus loin, surtout sur l’application concrète du modèle Synapse dans l’éducation. Depuis 2024-2025, beaucoup de recherches ont été publiées sur l’influence de l’IA sur le cerveau et l’apprentissage. Je suis en train de les intégrer. Ce deuxième livre sera plus structuré, destiné en particulier aux enseignants, et proposera un cadre avec des garde-fous.
Propos recueillis par Xavier Studer
PS
Différentes IA ont été utilisées à tous les niveaux pour raccourcir drastiquement le temps de production de cet entretien. Recherche, préproduction, transcription, reformulation, vérification, etc.
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Intéressant. Effectivement, ceux qui n’apprennent pas en continu dans notre société numérique auront une vie plus compliquée. Donc très utile! Merci